Le droit d’alerte économique permet au CSE d’intervenir auprès des organes chargés de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise, ou auprès des associés, lorsque la situation économique de l’entreprise se révèle préoccupante (article L. 2312-63 et s. du Code du travail).
Dans les entreprises à structure complexe, le déclenchement du droit d’alerte appartient au seul CSE central (Cass. soc., 15 juin 2022, n 21-13.312). En effet, selon la Cour de cassation, l’exercice du droit d’alerte étant subordonné à l’existence de fait de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise, les CSE locaux ne sont pas investis de cette prérogative (Cass. soc., 1er mars 2005, no 03-20.429 ; Cass. soc., 25 sept. 2012, no 11-12.548 ; Cass. soc., 15 juin 2022, n 21-13.312). Le CSE local peut néanmoins jouer un rôle non négligeable dans la mise en œuvre par le CSE central en prenant l’initiative d’une « pré-alerte » interne, dès l’apparition de signes avant-coureurs susceptibles de répercussions à l’échelle globale.
Demande d’explication – notion de faits préoccupants
Le CSE peut demander des explications à l’employeur lorsqu’il a connaissance de faits qui sont de nature à affecter « de manière préoccupante » la situation économique de l’entreprise. La question doit alors être inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance du CSE (C. trav., art. L. 2312-63). L’initiative de cette demande implique une délibération du CSE à laquelle l’employeur ne peut participer au vote.
La loi s’en tient à une formule générale, sans énoncer de critères qui permettent de délimiter, avec un minimum de certitude, les situations justifiant l’initiative du CSE. On peut toutefois considérer que des reports renouvelés d’échéance, le refus de certification des comptes par le commissaire aux comptes, une diminution anormale des commandes et un gonflement anormal des stocks constituent des circonstances qui peuvent être tenues pour alarmantes. L’intention du législateur était d’envisager plusieurs signaux dans différents domaines : les finances, le fonctionnement de l’entreprise, le non-accomplissement des obligations légales. Ainsi, le CSE va pouvoir s’intéresser à divers indices pour déclencher la procédure d’alerte.
La jurisprudence rendue sur le sujet apporte quelques précisions complémentaires sur la notion de « faits préoccupants », qui peuvent être :
— un projet de fermeture d’un atelier dans un contexte de prévisions commerciales pessimistes, de problèmes conjoncturels et de sureffectif (CA Versailles, 25 juin 1993, no 4168/93) ;
— la fermeture d’une entité entraînant des suppressions d’emploi et remettant en cause des objectifs et missions traditionnels de la Direction (Cass. soc., 19 févr. 2002, no 00-14.776) ;
— un projet de mise en place d’un service informatique commun à plusieurs caisses régionales du Crédit Agricole, dans le cadre d’un groupement d’intérêt économique (Cass. soc., 11 mars 2003, no 01-13.434) ;
— lorsque dans le cadre d’une consultation sur la réorganisation d’une activité au niveau mondial, les réponses de l’employeur aux questions posées par le comité central d’entreprise ne sont pas satisfaisantes (Cass. soc., 18 janv. 2011, no 10-30.126, JSL no 295-11) ;
— un déficit qui ne cesse d’augmenter depuis plusieurs années consécutives, attesté par des rapports d’experts sur la situation économique de l’entreprise (Cass. soc., 7 juill. 2021, no 19-15.948) ;
— un projet de cession intervenant cinq ans seulement après le rachat d’une entreprise négocié à des conditions financières particulièrement élevées, s’accompagnant d’un projet de restructurations des activités et de séparation des actifs immobiliers (CA Paris, 16 déc. 2021 no 19/22691).
— un projet de modification de la structure juridique de l’entreprise (Cass.soc.,28 octobre 1996, n°95-10.274).
En l’état actuel de la jurisprudence, le déclenchement de la procédure d’alerte est donc soumis aux conditions suivantes :
– Existence d’un contexte matérialisant la préoccupation et l’inquiétude du CSE ;
– Objectivation de ce contexte et des premiers effets en découlant.
À défaut, toute démarche du CSE semble pouvoir être contestable.
Concrètement, le CSE qui a connaissance de faits qu’il juge être de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise peut, dans un premier temps, solliciter des explications auprès de l’employeur.
En l’absence de réponse, ou en cas de refus de réponse, de réponse insuffisante, ou si celle-ci renforce les inquiétudes du CSE, ce dernier peut alors déclencher la procédure d’alerte.
Établissement d’un rapport
Si l’employeur ne fournit pas de réponse suffisante ou s’il confirme le caractère préoccupant de la situation, le CSE peut établir un rapport.
Si, en raison de l’effectif de l’entreprise, la commission économique, instituée par accord prévu à l’article L. 2315-45 du Code du travail ou à titre supplétif par l’article L. 2312-46 du Code du travail, a été mise en place, ce rapport est établi par la commission économique.
La commission, ou le comité, peut se faire assister par un expert-comptable du comité, une fois par exercice (article L. 2312-64 du Code du travail). Le CSE conserve toutefois la faculté de préciser la mission de l’expert-comptable et de la compléter lorsque des faits en relation avec ceux ayant motivé l’exercice du droit d’alerte sont portés à sa connaissance pendant le cours de sa mission (Cass. soc., 28 oct. 1996, no 95-10.274). La mission de l’expert ne se limite pas, en effet, aux faits qui ont motivé l’exercice du droit d’alerte. Elle s’étend également aux faits qui sont de nature à confirmer la situation préoccupante de l’entreprise (Cass. soc., 11 mars 2003, no 01-13.434 ; Cass. soc., 29 sept. 2009, no 08-15.035,). Dans le cadre de cette expertise, l’expert-comptable détermine seul les documents utiles à l’exercice de sa mission.
La commission, ou à défaut le comité, peut convoquer le commissaire aux comptes et s’adjoindre à titre consultatif deux salariés de l’entreprise, étrangers au CSE, et choisis pour leur compétence, pour l’établissement du rapport ; ils disposent chacun d’un contingent de 5 heures payées comme temps de travail.
Le CSE peut aussi procéder à la mise en œuvre d’une alerte interne sans le bénéfice de cette assistance. Au surplus, le CSE peut faire appel à un expert pour établir le rapport ; le président du comité ne peut s’opposer à cette désignation, sauf à saisir la juridiction compétente (Cass. soc., 12 mars 1991, no 89-41.941).
Le rapport est transmis à l’employeur et au commissaire aux comptes.
Saisine de l’organe d’administration ou de surveillance
Le rapport peut émettre un avis sur l’opportunité de saisir le conseil d’administration ou le conseil de surveillance ou d’informer les associés dans les autres formes de sociétés (les membres dans un GIE).
La décision appartient en tout état de cause au CSE lui-même, par le vote d’une résolution, où l’employeur n’a pas à prendre part au vote.
L’avis de l’expert-comptable du CSE est joint au rapport.
Dans les sociétés à conseil d’administration ou à conseil de surveillance, le conseil délibérera lors de sa prochaine séance, sous réserve qu’il ait pu être saisi 15 jours à l’avance (article L. 2312-66 du Code du travail). Cette délibération doit intervenir dans le mois de la saisine du conseil. La réponse doit être motivée. L’extrait du procès-verbal de la délibération où figure cette réponse doit être adressé au CSE dans le mois qui suit la réunion du conseil (article R. 2312-29 du Code du travail).
Dans les autres formes de sociétés, il appartient aux gérants ou aux administrateurs de communiquer le rapport du CSE ou de la commission économique aux associés, mais sans que cela implique nécessairement la tenue d’une assemblée (article L. 2312-66 du Code du travail). Cette communication doit se faire dans les 8 jours de la délibération du CSE (article R. 2312-30 du Code du travail).
Les informations, concernant l’entreprise, communiquées dans le cadre de cette procédure ont par nature un caractère confidentiel et sont couvertes par l’obligation de discrétion pour toutes les personnes qui y ont accès (C. trav., art. L. 2312-67).